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10 avril 2016

JOUE LA COMME MILLER

   Pork pie hat noir vissé sur le crâne, diamant à l’oreille et regard malicieux, on ne peut pas se tromper. Marcus Miller possède un style inimitable, et ça n’est pas peu dire. Multi-instrumentiste, compositeur, arrangeur et producteur, le jazzman a plus d’un tour dans son sac. Né à Brooklyn un 14 juin 1959, le petit Marcus baigne très tôt dans le monde de la musique. Dès l’âge de 10 ans, il apprend le piano et la clarinette basse grâce à son père, lui-même musicien et cousin de Wynton Kelly, pianiste qui accompagne alors régulièrement le grand Miles Davis. A 13 ans, Marcus Miller écoute Earth Wind & Fire, les Jackson Five et Jaco Pastorius en boucle dans sa chambre. Poussé par la vague funk et son amour pour les artistes jazz, l’adolescent se met à la basse, instrument qu’il ne quittera rapidement plus. D’abord sur les quatre premières cordes d’une vieille guitare acoustique puis sur une basse payée de sa poche, il apprend en suivant les riffs de basse de ses chansons favorites. Puis Marcus parfait sa culture jazz en découvrant le be-bop et dès qu’il est assez âgé pour sortir sans l’autorisation de papa et maman, traîne les rues à la recherche de compagnons de jeu.

 

   Il ne faudra pas longtemps au jeune Miller pour se faire repérer. A 15 ans, il rejoint le Harlem River Drive, l’orchestre du New York City Club, en tant que bassiste et choriste. Dès le milieu des années 70, Marcus Miller participe à pas moins de 500 albums, que ce soit en tant que bassiste, compositeur ou producteur. L’homme à tout faire devient l’acolyte de musiciens tels que le saxophoniste David Sanborn ou la chanteuse Roberta Flack. Il joue aux côtés des plus grands et se fait petit à petit un nom. Aretha Franklin, Claude Nougaro, Eric Clapton… tous s’arrachent le jeune talent. Il faut dire qu’il a un style qui décoiffe le petit Marcus. Même si fortement influencé par Jaco Pastorius, bassiste de jazz de renom qui fit de la basse électrique un véritable instrument soliste, Miller souhaite rapidement trouver un style personnel. Quand il entend pour la première fois Larry Graham frapper et pincer les cordes de sa basse, il trouve le son tellement cool qu’il décide immédiatement d’apprendre à jouer comme lui. Rapidement, il développe son propre style qui deviendra un son signature parfaitement reconnaissable. Le slap, cette technique funk où le bassiste frappe les cordes graves avec son pouce et pince les aigus, devient sa marque de fabrique et la Fender Jazz Bass son compagnon de route. Séduisant chanteurs et musiciens de tous horizons par son style inimitable, Marcus Miller occupe les studios d’enregistrement de tous les Etats-Unis et poursuit tranquillement son petit bonhomme de chemin.

 

   Et dans l’ombre, un musicien l’observe attentivement. En 1981, Miles Davis fait son grand retour après plusieurs années de silence. Le célèbre trompettiste fait appel à Marcus Miller, qui a alors 22 ans, pour intégrer son nouveau groupe aux influences jazz et hip-hop. Son admiration envers le jeune bassiste qui sortira son premier album deux ans plus tard est sans égal : « ce type est si bon qu’il marche même dans le tempo Â». En 1986, les deux hommes désormais devenus amis enregistrent ensemble l’album Tutu dont la majorité des titres sont composés par Miller. Mais l’ambitieux musicien n’a pas prévu de s’arrêter là. A partir des années 90 et malgré la mort de son ami, père spirituel et mentor, il se lance en solo et prouve au monde qu’il n’est pas seulement un bon musicien mais également un artiste complet avec un univers musical propre. The Sun Don’t Lie (1993), Tales (1995), M² (2001) -qui remporte un Grammy Awards-,… les albums s’enchaînent, conjuguant les deux styles musicaux de cÅ“ur du bassiste, le funk et le jazz, et toujours ce jeu endiablé, sec et rythmiquement impeccable. Ses collaborations musicales en tous genres continuent et sont l’occasion pour lui de jouer à son tour le rôle de mentor auprès de jeunes musiciens prometteurs qu’il invite à jouer avec lui lors de ses tournées mondiales. L’élève devient maître ; la boucle semble bouclée. Mais pas pour notre génie du jazz qui souhaite aller plus loin et qui voit sa musique aussi comme une arme contre les inégalités.

 

   Car si Marcus est un virtuose reconnu, c’est aussi un homme engagé. Son prénom lui va comme un gant puisqu’il lui vient d’un ami de son grand-père, Marcus Garvey, leader noir et grand défenseur de l’égalité raciale. Débordant de questions sur son identité, Marcus Miller cherche des réponses là où il le peut et s’engage comme porte-parole du projet «  La Route de l’Esclavage Â». En 2013, il est nommé « Artiste pour la Paix Â» par l’UNESCO au cours d’une cérémonie où il est présenté comme le « musicien (…) qui incarne l’esprit de créativité, de liberté et de résistance qui est au cÅ“ur de la musique, et en particulier au cÅ“ur du jazz ». Son identité, il la trouve en partie dans sa musique et c’est quelque chose dont il a pleinement conscience : « Nous, les fils d’esclaves, avons perdu notre culture, nos noms, nos maisons, nos mots. La musique est tout ce qu’il nous reste. »

 

   Continuant à marcher sur les pas de ses ancêtres, Marcus Miller signe en 2015 un album teinté de colère noire où sa basse semble plus agressive et métallique que jamais. Afrodeezia, enregistré entre le Mali, la Nouvelle-Orléans, Paris et Sao Paulo, mélange rythmes et mélodies de ces divers horizons pour un album authentique, tourné vers les racines de l’homme et ponctué d’hommages aux artistes qui ont marqué le musicien. Un beau retour aux sources pour ce géant de la basse qui sait rester humble malgré tout : « Il est important que je garde les pieds sur terre, connectés avec les racines... Quand vous faites de la musique depuis longtemps, chaque note vous rappelle quelqu’un ou quelque chose Â».

Avec six albums solos, deux Grammy Awards et pas moins de 500 collaborations studio à son actif, le bassiste phare du jazz-funk a donné au slap ses lettres de noblesse et demeure encore aujourd’hui un musicien exemplaire et une icône à l’influence incontestable. Retour sur un parcours hors du commun.  

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